"Il est plus facile de photographier dans un musée que dans une gare (sauf à Orsay)
parce que je peux faire croire que je ne photographie que les œuvres.
L’œuvre exposée est un leurre, le chiffon rouge agité devant les spectateurs."
Benjamin Tardillon
> Exposition de photographies anciennes, contemporaines et apocryphes de:
Hans K., Henri Dauvillier, Duchamp Duchamp, Jules Paterson, Benjamin Tardillon.
> En lien avec l'installation "Photo Mensonge et Vidéo".
> Avec une conférence-démonstration en deux volets:
"Toi Tarzan, Moi Jane", conférence démonstration par Odile Darbelley
"Moi Tarzan, Toi Jane", conférence démonstration par Michel Jacquelin
> On ne s'est que très rarement interrogé sur les relations entre les objets collectionnés par tel ou tel artiste et l'élaboration de son œuvre : Ernst et les poupées Katchinas, Breton et sa collection d'objets ou même Lacan, heureux propriétaire de l'Origine du monde de G. Courbet.
La collection réelle ou virtuelle est une partie intime du stratagème que tout artiste met en place pour se construire, même s'il lui faut inventer son histoire: « Montre-moi ta collection je te dirai qui tu es » comme l'affirme Emmanuel Rath1.
Nous nous sommes inspirés de ce postulat pour présenter, dans une organisation en miroir, les relations que plusieurs photographes du XXème siècle ont installées entre eux par le biais de leurs collections, en héritant les uns des autres ou par appropriations successives.
Il y a loin de la poudre aux yeux est une sorte de fable qui met en scène une certaine histoire de la photographie à travers un enchaînement de collections qui ont la particularité d'avoir été rassemblées par des artistes.
Duchamp Duchamp, le frère présumé de Marcel est, dans notre corpus, un point de convergence (on le savait déjà tangent, c'est là une corde de plus à son arc mathématique) puisque d'un côté, il a sauvegardé les photographies de Marcello Trimoli prises par son chien Astor (Trimoli ne collectionnait que les yeux de verre et Astor, lui, que les coups de pieds), et de l'autre, il a été le découvreur de Hans K., obscur photographe de village dont seules les plaques négatives ont pu être sauvées. Portraitiste, Hans K. prenait des groupes, en studio, devant un fond peint, disposant les sujets selon des règles d'orthogonalité et de symétrie qui le caractérisent.
Duchamp Duchamp pratiqua longtemps la photographie en amateur, saisissant l'étal de sa boucherie charcuterie à Blainville, pour en conserver la trace et en décliner les éléments sans tomber dans la répétition. Fort de cette expérience et sans doute aidé par Man Ray, c'est d'abord par la photo qu'il en vint à affronter, sur le terrain de l'art, son frère Marcel.
Duchamp Duchamp et Henri Dauvillier se sont rencontrés en 1913 lors d'une soirée costumée chez Margit Pogany. Dauvillier était pensionnaire à l'Odéon. Un petit rôle au théâtre étant un grand rôle dans la coulisse, Dauvillier s'occupait entre deux entrées en scène à se photographier en costume dans les miroirs du foyer des comédiens. Portrait du personnage, de l'acteur, autoportrait, cela reste une interrogation. La présence constante de l'appareil photo, calé, posé ou tenu, est sa signature, la plupart du temps anachronique, elle pointe le paradoxe du jeu entre comédien et photographe.
Benjamin Tardillon, grand collectionneur des photographies d'Henri Dauvillier et coureur de fonds (pour lui-même et pour la Fondation Professeur Swedenborg), dans le cadre de son œuvre personnelle repère dans les musées ou les expositions ce qu'il appelle les White Cube Attitudes, ces impromptus, parfois détonnant, entre le public et un espace, les corps et les œuvres. « Il est plus facile de photographier dans un musée que dans une gare (sauf à Orsay) car je peux faire croire que je ne vise que les objets exposés, qui tiennent lieu de leurre, de muleta, aux yeux des visiteurs photographiés à leur insu ».
Julie Pancake2, bonne tireuse, découvre Hans K. à l'occasion d'une commande d'épreuves modernes, se passionne pour son œuvre et, en dupliquant les tirages à son profit, se constitue une collection déterminante pour l'orientation de son travail artistique: devant un fond projeté, elle fait rejouer des gestes de la vie quotidienne (par exemple: parler à son ficus, ou lancer un calmar). Elle signe Jules Paterson pour brouiller les pistes. Ce goût pour la dissimulation se retrouve dans son projet Photo Mensonge et Vidéo. Face à la caméra, elle propose à chaque participant de raconter une anecdote personnelle sur la photographie et de s'approprier l'histoire de son voisin. Au spectateur de détecter qui dit vrai3.
> À la demande de Michèle Chomette, nous espérons, en confrontant les œuvres, les époques et les collections, démontrer que si tout auteur crée ses précurseurs, souvent davantage que ses suiveurs, toute idée aussi complexe et inventive soit-elle tend à rejoindre le flux. Toutes les choses, même les plus improbables, finissent par s'inscrire peu à peu dans le paysage culturel, et peuvent resurgir un jour dans l'histoire de l'art, métamorphosées ou recyclées sans vergogne. Prenons nous-mêmes un peu d'avance: la photographie, bon sang, ne saurait mentir, et comme dirait Lacan, quand on rêve qu'on rêve, le réel n'est pas loin.
1Sa collection au carré est une collection de collections représentées, chacune, par un objet..
2Au sujet de Judith Pancake on peut utilement se référer à l'ouvrage de René Daumal, le Mont Analogue.
3Une forme d'hommage à Jean Eustache et à sa « sale histoire ».